Les troubles émotionnels au cours de la SEP

Les personnes vivant avec une sclérose en plaques peuvent présenter des troubles émotionnels, c’est-à-dire des modifications des émotions qu’elles ressentent et qu’elles expriment. Ces troubles sont bien souvent liés à des lésions neurologiques. Ils sont donc une des conséquences possibles de la maladie. Le point avec Audrey Henry, psychologue et maître de conférences au Laboratoire Cognition Santé Société de l’Université de Reims.

Qu’est-ce qu’une émotion ?

Colère, joie, surprise… sont des émotions que tout le monde éprouve quotidiennement ou presque. Les émotions font partie de la vie de chacun. Mais de quoi s’agit-il exactement ? « Les émotions sont des réactions, à la fois psychologiques et physiologiques, qui permettent de faire face à un événement, explique Audrey Henry. Elles nous permettent de nous adapter rapidement à une situation qui se présente. La peur, par exemple, sert à affronter ou fuir un danger. Les émotions sont des mécanismes nécessaires à notre survie et à notre bien-être. Elles sont généralement brèves, avec un début et une fin délimitées » (1,2).

Les émotions de base ou primaire sont la joie, la colère, la peur, la tristesse, le dégoût, la surprise et le mépris. Elles se déclenchent de façon automatique et rapide par le biais de processus neurophysiologiques, cognitifs et comportementaux. Il existe également des émotions dites secondaires et plus complexes telles que la honte ou la culpabilité (2).

Les émotions provoquent des modifications corporelles, par exemple une augmentation du rythme cardiaque. Elles se traduisent par des comportements et des expressions, notamment du visage, qui sont universels. Partout sur la planète, nous exprimons et reconnaissons la joie, la surprise ou la tristesse (2).

Qu’est-ce qu’un trouble émotionnel ?

« Un trouble émotionnel est évoqué lorsqu’une émotion se manifeste de façon anormale, indique Audrey Henry. Soit parce qu’elle perdure dans le temps, alors que la situation qui l’a provoqué n’est plus présente. Soit parce qu’elle est excessive dans son expression, son intensité étant trop ou pas assez importante. Soit, enfin, parce qu’elle survient avec une grande variabilité, avec de brusques changements et sans lien avec la situation. »

Quels sont les différents troubles émotionnels qui peuvent survenir au cours de la SEP ?

Différents troubles émotionnels sont observés chez les personnes vivant avec une sclérose en plaques. En voici les principaux :

Les rires et les pleurs spasmodiques

Ce trouble se manifeste par la survenue involontaire de rires ou de pleurs dans une situation qui ne prête pas forcément à ces émotions. Bien souvent, la personne n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi elle réagit de cette manière (1,2).

De 7 % à 10 % des personnes vivant avec une SEP sont concernées par ce trouble émotionnel. Il s’agit généralement de patients dont la maladie évolue depuis plus de 10 ans et qui présentent des handicaps assez importants (1,2).

« L’origine de ce trouble n’est pas précisément connue, précise Audrey Henru. Mais on sait qu’elle est d’origine neurologique, en lien avec des lésions situées dans différentes régions du cerveau. »

L’euphorie pathologique

Ce trouble se caractérise par un état de bien-être, de gaîté et d’optimisme quasi constant, indépendamment de la réalité de la situation de la personne. L’euphorie pathologique, qui concerne environ 10 % des patients, survient à un stade évolué de la maladie, avec des retentissements physiques et cognitifs souvent importants de celle-ci (2).

Cet état d’euphorie est provoqué par des lésions neurologiques (2).

L’alexithymie

L’alexithymie se caractérise par des difficultés à reconnaître et à décrire ses propres émotions. Les personnes ont du mal à prendre conscience de leurs émotions et à les verbaliser ; elles peuvent par exemple raconter un événement douloureux, mais sans parvenir à dire (à elle-même et aux autres) ce qu’elles ont ressenti à cette occasion. Elle peut s’accompagner de difficultés à reconnaître les émotions chez les autres, notamment les expressions du visage (1,2).

L’alexithymie est retrouvée dans la population générale mais elle est plus fréquente chez les personnes atteintes d’une SEP. Selon les études, elle concernerait jusqu’à 40 % à 50 % d’entre elles. Elle touche notamment les malades anxieux et/ou déprimés (1,2).

« Il existe actuellement deux hypothèses pour expliquer l’alexithymie au cours de la SEP, indique Audrey Henry. Selon la première hypothèse, ce trouble serait lié à des lésions neurologiques, avec un déficit des transferts entre l’hémisphère droit (qui traite les informations émotionnelles) et l’hémisphère gauche (qui permet de verbaliser les émotions) du cerveau. La seconde hypothèse est que l’alexithymie serait une forme de mécanisme de défense face à la maladie : les malades se détacheraient de leurs émotions pour en être moins affectés. Il est fort possible que ces deux mécanismes soient concomitants. »

La labilité émotionnelle et l’incontinence affective

Ces troubles correspondent à une expression exagérée des émotions. La labilité se traduit par des changements rapides de l’état émotionnel. Par exemple, la personne exprime de la joie et l’instant d’après elle se met en colère, sans que la situation n’explique ce revirement. L’incontinence affective, de son côté, correspond à l’émergence soudaine et incontrôlée d’une émotion. La personne se met à exprimer toutes les émotions qu’elle ressent de façon excessive, alors qu’elle n’est pas dans une situation adéquate (dans un magasin ou une réunion professionnelle par exemple) ou avec un interlocuteur approprié (une personne qu’elle ne connaît pas par exemple).

Environ 30 % des personnes vivant avec une SEP seraient concernées par ces troubles. Ceux-ci peuvent survenir dès le début de la maladie. Ils apparaissent notamment en cas de troubles cognitifs (1,2).

Comment faire face aux troubles émotionnels ?

« Ce qui importe face aux troubles émotionnels, c’est de bien comprendre qu’ils sont une conséquence de la maladie, explique Audrey Henry. Les malades qui présentent ce type de troubles ne sont pas responsables de leurs comportements, de l’expression qui peut paraître exagérée ou inappropriée de leurs émotions. Il est donc essentiel qu’ils soient clairement informés sur ces troubles et surtout qu’ils ne culpabilisent pas ou plus. C’est pourquoi, en cas de troubles, il ne faut pas hésiter à en parler avec son neurologue ou son équipe soignante. »

« Face aux troubles émotionnels, il n’y a pas de solution miracle, surtout quand ils sont liés à des lésions neurologiques, poursuit Audrey Henry. Ce sont les traitements de fond de la SEP qui peuvent permettre éventuellement de les atténuer. Il est toutefois possible pour les malades d’engager un travail psychothérapeutique sur la gestion des émotions, avec un psychologue ou au sein d’un groupe de parole. Une telle approche permet de mieux repérer les émotions, les situations qui les provoquent, et de travailler sur leur expression. Pour cela, il est possible de s’adresser à son neurologue ou à son réseau SEP pour savoir si une prise en charge de ce type peut être mise en œuvre. »

Quels conseils pour l’entourage ?

« Les malades n’ont pas forcément conscience de présenter des troubles émotionnels, indique Audrey Henry. L’entourage s’en rend souvent plus facilement compte. Pour les proches, ces troubles ne sont pas forcément évidents à vivre et peuvent être des sources de tensions. L’information de l’entourage est donc primordiale, afin que les proches comprennent que la personne malade ne fait pas exprès d’avoir telle ou telle expression de ses émotions, mais que c’est une des conséquences de la SEP. Cela permet ensuite de mieux gérer les situations compliquées et de mieux soutenir le malade. Les proches peuvent donc s’adresser au neurologue ou à l’équipe soignante pour mieux comprendre ces troubles et, si nécessaire, trouver un soutien. »

Sources bibliographiques

1. Montel S, Bungener C. Les troubles de l'humeur et des émotions dans la sclérose en plaques : une revue de la littérature. Rev Neurol (Paris). 2007 Jan;163(1):27-37. doi: 10.1016/s0035-3787(07)90352-5. PMID: 17304170.
2. Line Pfaff. Modifications émotionnelles dans la sclérose en plaques : étude en neuropsychologie et neuroimagerie. Neurosciences [q-bio.NC]. Université de Strasbourg, 2018. Français. NNT : 2018STRAJ022. tel-02042981.

Publié le : 13/04/2021

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