L’errance diagnostique, sens et conséquences

Avec une maladie aussi hétérogène dans ses manifestations, il est fréquent que les personnes atteintes d’une sclérose en plaques soient confrontées à une situation, plus ou moins longue, d’errance avant que le diagnostic ne soit posé. Cette errance diagnostique est sources de difficultés. Mais l’annonce du diagnostic, si elle permet une forme de soulagement, ne met pas totalement fin à l’errance car celle-ci est inhérente à la maladie, explique Paul-Loup Weil-Dubuc, philosophe et responsable du pôle recherche à l’Espace éthique de la région Île-de-France.

Comment définir l’errance diagnostique ?

D’une manière générale, l’errance est le fait de ne pas savoir où l’on va et de chercher un sens à ce qui se produit. C’est être dans l’incertitude. Face à des symptômes ou des signes qui l’affectent, une personne est dans l’errance diagnostique quand elle ne sait pas ce qui provoque ces symptômes ou signes, ce qu’ils signifient, et qu’elle n’obtient pas de réponse précise de la part des médecins que cette personne consulte. La situation d’errance diagnostique est toutefois très hétérogène selon les personnes, leur personnalité, leur situation, les troubles qui surviennent et leur capacité à accéder au système de santé.

Quelles sont les conséquences de cette situation d’errance diagnostique ?

En premier lieu, cette expression est trompeuse parce qu'elle présuppose que c'est l'absence de diagnostic qui provoque l'errance. Comme si, après l'errance, il devenait facile de se projeter dans l'existence. Comme nous y reviendrons, l'errance fait partie de la vie, avec ou sans SEP.

Ceci étant, cette situation expose les personnes à deux types principaux de difficultés. Le premier est la perte de la maîtrise du cours de sa propre existence. Avec une maladie comme la sclérose en plaques, les symptômes surviennent de façon très aléatoire, lors des poussés, puis ils disparaissent généralement, du moins au départ, sans laisser de séquelles. Cela échappe totalement à la personne, elle n’a pas la maîtrise de ce qui lui arrive, ce qui est très perturbant. De surcroît, et c’est la seconde grande difficulté liée à l’errance diagnostique, la personne se retrouve dans l’incompréhension, dans l’incapacité à comprendre ce qui se passe pour elle, cette « trahison du corps » pour reprendre une formule du philosophe Georges Canguilhem. La perte de maîtrise et l’incompréhension sont indéniablement source de souffrances.

Dans cette situation, qu’apporte l’annonce du diagnostic ?

Le fait de mettre un nom sur la cause des symptômes, des dérèglements que la personne éprouve constitue bien souvent pour elle une forme de soulagement. Elle sait enfin ce qui lui arrive, même si c’est également douloureux d’apprendre que l’on est atteint d’une maladie comme la sclérose en plaques. Mais cela permet de redonner un sens, de pouvoir se projeter à nouveau dans l’avenir, en dépit des incertitudes qui demeurent. L’annonce du diagnostic permet aussi la mise en place d’une prise en charge médicale et donc là aussi un réinvestissement dans la vie et son devenir. Cette annonce modifie bien souvent également l’environnement familial car elle inspire de la part des proches davantage de mansuétude, de compréhension et de tolérance. Enfin, le diagnostic permet à la personne d’accéder à des aides et des droits. Donc, avec le diagnostic, la personne se retrouve dans une situation plus aidante et plus favorable.

L’annonce du diagnostic met-elle pour autant totalement fin à l’errance ?

L’errance ne prend pas fin une fois le diagnostic de la maladie énoncé. En effet, l’errance est consubstantielle à la maladie, notamment avec une pathologie neurodégénérative comme la sclérose en plaques pour laquelle demeure une grande part d’incertitude quant à son évolution. Par ailleurs, il existe bien entendu des traitements et des soins qui permettent d’améliorer la vie quotidienne des personnes malades. Mais aucun traitement n’est à l’heure actuelle curatif. Donc, la maladie reste présente, sans possibilité de la guérir, d’y échapper. La personne malade est donc confrontée à une situation dans laquelle elle doit réinterroger sa vie dans son ensemble, s’adapter et retrouver du sens. Par conséquent, elle reste en partie dans l’errance.

Le diagnostic n’est donc pas une fin en soi

Le diagnostic n’est qu’une information factuelle et totalement impersonnelle : elle reste la même qu’elle soit donnée à un individu ou à un autre. Ce qui fait sens, c’est le récit qu’en tire chaque personne, c’est-à-dire la façon dont elle intègre cette information en fonction de son histoire, de sa personnalité, et comment en quelque sorte elle se réinvente en tant que sujet. Il faut se garder de donner trop de pouvoir au diagnostic, de penser qu’une fois le diagnostic établi, tout est connu, tout est maîtrisé. D’une part, l’évolution de la maladie est très hétérogène d’une personne à une autre, d’autre part, chaque malade doit pouvoir composer son propre récit en fonction de ses ressources. Enfin, il me semble important d’accepter l’incertitude, de ne pas chercher à l’éviter à tout prix ou de la voir comme une menace. L’incertitude fait partie de la vie. Elle est sans doute une condition de la liberté.

Publié le : 09/07/2021

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