« L’objectif, c’est toujours de mieux vivre avec ce que la vie nous donne » - Interview de Kamel Fatis (vidéo)

Vous connaissez déjà Anita Fatis, atteinte de sclérose en plaques et nageuse de haut niveau. Rencontre avec son mari, Kamel.

Interview de Kamel Fatis réalisé par Charlotte

Pour être une sportive de haut niveau en dépit d'une maladie chronique, il faut un entourage « en béton » ! Ses enfants la soutiennent énormément, tout comme son mari Kamel, qui déborde d'amour, d'énergie et d'empathie, tout en la stimulant et la poussant à dépasser ses limites.

 

Vous êtes marié avec Anita depuis 1993 et vous avez appris qu'elle avait une sclérose en plaques en 1999. Comment avez-vous réagi au diagnostic ?

Je suis rentré de l'armée en 1989, j'avais quitté Anita sur ses deux jambes et je l'ai trouvée hémiplégique. Ça m'a fait un choc de la voir allongée… Mais j'ai pensé à elle, nous avons essayé de savoir de quoi elle souffrait (ce n'est que plusieurs années plus tard que sa SEP a été diagnostiquée). Son hémiplégie a duré plusieurs mois : au bout de 6 mois elle avait récupéré sa jambe et cela a pris un an pour le bras. Je ne suis pas de nature stressée, j'ai géré au fur et à mesure, je voulais surtout trouver les bons médecins et une solution pour qu'elle récupère. Comme j'étais toujours à l'armée et pas sur place, elle vivait chez sa mère, je rentrai tous les week-ends pour la soutenir… Elle avait de la kiné tous les jours et de la stimulation électrique. Comme elle récupérait bien, j'étais tout de même optimiste en me disant que ça allait revenir.

Au moment du diagnostic, apprendre que c'était une « sclérose en plaques » ne m'a rien fait… Ca a rassuré Anita car on lui disait que c'était psychologique jusque-là. Mais moi, je n'avais pas besoin d'être rassuré, le nom de la maladie ne changeait pas l'état de ma femme pour autant et le mot ne me disait pas grand-chose. Ce qui était important pour moi, c'était de pouvoir mettre en place un traitement.

Et après le diagnostic, comment avez-vous apprivoisé la vie avec une maladie chronique ?

Au début, elle faisait des poussées et elle récupérait bien donc je n'avais pas trop peur du fauteuil roulant. Avec les années, je me suis posé des questions parce que je constatais que son état se dégradait et c'est difficile à gérer. Je n'ai pas vu de psychologue, je faisais du sport pour me défouler : c'était indispensable pour extérioriser. Et surtout ma priorité, c'était Anita : je ne pouvais pas me permettre d'avoir des états d'âme, je ne pouvais pas faiblir devant elle (elle ne vivait pas bien sa maladie, je n'allais pas en rajouter !). L'objectif, c'est toujours de mieux vivre avec ce que la vie nous donne. Si la vie nous donne une sclérose en plaques, j'essaie de trouver des solutions et d'envisager toujours des plaisirs ensemble. Nous avons adapté notre mode de vie et nos activités en fonction de sa maladie mais en gardant toujours une fenêtre sur le plaisir de réaliser des choses ensemble, d’en retirer ces petits moments de complicité des instants de rires qui nous soufflent à l’oreille que malgré tout il fait bon vivre et être heureux ensemble. Par exemple, nous nous sommes imposés un restaurant et un cinéma une fois par mois au minimum. Nous aimions le ski, alors elle s'est mise au handiski (maintenant elle n'en fait plus depuis 2 ans car avec les championnats de natation, elle ne peut pas prendre le risque d'une chute). Nous faisons aussi des promenades ensemble quand nous avons un peu de temps.

Mais c'est vrai que la part de sport haut niveau est très chronophage et nous prend du temps sur le temps familial (elle nage, elle se repose et nous ne faisons rien d'autre). Mais c'est une chance, un don exceptionnel d'être une sportive de haut niveau : elle doit en profiter au maximum en tirer du positif dans la réalisation d'elle-même mais aussi vis-à-vis de la maladie. Ce qui est fort, c'est que malgré sa maladie Anita arrive à se réaliser ! Elle donne aussi beaucoup de temps pour les autres : elle fait partie d'une commission à la mairie pour l'accessibilité, elle réalise des présentations à l'école dans des associations axées sur le handicap moteur (le fauteuil) et sur le bienfait du sport dans la vie de tous les jours.

C'est vous qui l'avez poussée dans la piscine quand Anita faisait une dépression. Pourquoi ?

En fin de compte, quand le fauteuil apparait, tout s'écroule : elle ne l'a pas accepté tout de suite, il faut du temps pour passer ce palier, elle était prise dans la dépression et je n'arrivais pas à trouver une solution. Je me suis dit qu'il fallait qu'elle sorte de la maison, qu'elle ne reste pas enfermée (le regard des autres la gênait et elle ne voulait pas sortir). Comme c'était une grande sportive, je me suis dit que le sport pouvait l'aider à s'épanouir et puisqu'elle n'avait plus les jambes, la piscine était adaptée et je l'y ai amenée de force ! Elle a mis au moins 20 minutes à se mettre à l'eau mais elle a eu de bonnes sensations, elle ne s'est plus sentie handicapée et elle y est retournée progressivement ! On connaît la suite…

Pour vous, quelles sont les principales difficultés à vivre avec une personne malade ?

Le plus dur est de trouver les mots justes : on ne peut pas ne rien dire et parfois il faut secouer la personne, mais pas trop… Il faut trouver le juste mot. Elle me dit que je n'ai pas de compassion, mais ce n'est pas vrai : je la bouscule et a posteriori, elle reconnaît que c'est ce qu'il fallait. Mais c'est dur à vivre, elle le vit mal sur le coup, elle me le reproche. Ça peut engendrer quelques tensions temporaires dans le couple et après coup, nous nous apercevons que c'est la bonne démarche. Mais pour le malade, c'est terrible d'être toujours en effort, de devoir toujours se bousculer… Et il ne faut pas oublier qu'elle a mal tout le temps.

C'est éprouvant de voir ma femme se faire dévorer par la maladie et je me sens complètement impuissant, je ne peux rien faire pour la personne que j'aime… Donc j'essaie juste de trouver les bons mots, d'être présent, d'alléger un peu son quotidien. J'essaie de faire le maximum, je la laisse faire les choses qu'elle aime, comme la cuisine, mais quand je sens qu'elle n'a pas les moyens physiques de le faire, je lui dis d'aller se reposer, d'aller voir ses copines et moi, je m'en occupe !

De plus, quand on vit avec un malade, on doit savoir s'effacer, savoir passer au second plan, aussi bien vis-à-vis de sa femme que de ses amis qui ne parlent que du malade. C'est pour cela que les conjoints peuvent avoir du mal : toute l'attention va au malade. Donc, selon l'état psychologique, soit on est capable de gérer cela, soit on ne l'est pas alors, il ne faut pas avoir honte de solliciter une aide psychologique, aller voir un psychologue pour verbaliser les choses.

Êtes-vous angoissé pour Anita ? Et comment gérez-vous cela ?

Je ne suis pas très angoissé de nature, je suis déçu et dégoûté pour elle quand aux championnats du monde, les résultats sont moins bons du fait de son bras. Mais j’ai confiance en l'avenir : pour la maladie je reste très positif car la recherche et les traitements ont avancé. Quelle que soit l'évolution de sa maladie, nous arriverons toujours à faire des choses ensemble et à prendre du plaisir. On gérera ensemble !

Est-ce compliqué d'être le mari, le père, celui qui soutient une sportive de haut niveau et qui a des hauts et des bas du fait de l'imprévisibilité de la maladie ?

C'est compliqué parce qu'il faut être sur tous les fronts mais ce n'est pas dur à faire car quand tu aimes la personne, tu le fais ! Une sportive de haut niveau, même non malade, cela représente des heures d'entraînement, donc moins de temps pour la famille, moins de week-ends en famille du fait de l'entraînement du samedi matin. Donc ce sont des sacrifices… Et quand on rajoute les problèmes de la maladie, cela multiplie les difficultés et il ne reste plus beaucoup de temps pour la famille et le couple.

Donc, c'est difficile mais ce n'est pas insurmontable : nous avons toujours des petits moments ensemble, nous avons toujours notre complicité et surtout je suis très fier de ce qu'elle arrive à faire, je suis à fond derrière elle. Elle est aux championnats du monde, face à des gens qui ont moins de handicap ! Je ne sais pas comment elle fait, franchement chapeau…

J’allais oublier une chose importante : lorsque c’est moi qui ne vais pas bien (eh oui ça arrive !), elle sait tout de suite ce qu’il me faut pour aller mieux, elle est toujours là pour moi. En revanche, elle a tendance à minimiser le bonheur qu’elle m’apporte dans la vie de tous les jours… Alors, je te le dis Anita : tu es aussi importante pour moi que moi pour toi.

Publié le : 27/03/2017 Mis à jour le : 29/03/18

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