ACCEPTER ET S’ADAPTER A SA MALADIE CHRONIQUE

Le processus d’acceptation et d’adaptation à une maladie chronique comme la sclérose en plaques se déroule en plusieurs phases.

La sclérose en plaques est une maladie chronique, dont l’évolution et les symptômes sont différents d’une personne à une autre, et qui peut avoir un retentissement conséquent sur l’environnement personnel, familial, social et professionnel. Il est donc important de parvenir à l’accepter et à s’y adapter, afin de vivre le mieux possible avec elle. Cela requiert un remaniement psychologique dont les ressorts et le vécu sont très personnels. Le point sur ce processus d’acception et d’adaptation, avec Hélène Laigo, psychologue clinicienne de la Clinique de la SEP à Rennes et du réseau SEP-Bretagne.

L’irruption de la maladie

Personne ne choisit d’être malade ! La maladie survient de manière imprévue le plus souvent et subie dans tous les cas. Quand elle s’installe dans la durée et qu’elle devient chronique, comme c’est le cas pour la sclérose en plaques (SEP), elle entraîne un bouleversement complet pour la personne et son entourage proche. S’engage alors un processus d’acceptation et d’adaptation qui, à bien des égards, est indispensable.

Qu’est-ce qu’une maladie chronique ?

Une maladie chronique est une pathologie qui persiste pendant une longue période de temps, voire toute la vie, et qui affecte les capacités de la personne qui en est atteinte à vivre normalement, c’est-à-dire tel qu’elle le faisait jusqu’alors. La maladie chronique confronte généralement la personne malade à des conséquences négatives non seulement pour son état de santé pour aussi pour sa qualité de vie et son bien-être1.

L’annonce de la maladie chronique : une rupture

L’annonce du diagnostic d’une maladie comme la SEP constitue une rupture dans le cours de la vie de la personne1. Pour elle, il y a un avant et un après cette annonce. « C’est une rupture dans le sens où le regard de la personne sur elle-même change — elle acquiert le statut de malade — et où cela convoque sa condition d’être mortel, explique Hélène Laigo. Chacun d’entre nous sait qu’il va mourir un jour. Mais au quotidien, c’est une question que nous éludons. L’irruption de la maladie replace au premier plan cette question, même quand, comme c’est le cas pour la sclérose en plaques, on n’en meurt pas. Simplement, le fait de se savoir malade conduit à se confronter à cette réalité et remet en question le rapport à l’avenir. »

Cette rupture est d’autant plus vivement ressentie dans le cas de la SEP que cette maladie est le plus souvent diagnostiquée à un âge jeune, alors que l’on a le sentiment d’avoir « la vie devant soi » et que l’idée d’être malade n’est pas envisagée, sinon à très longue échéance2.

De plus, dans le cas de la SEP, s’ajoute l’incertitude quant à l’évolution de la maladie et de ses symptômes, sachant que cette évolution est très variable d’une personne à une autre et est imprévisible2. « De nombreux patients ont ainsi le sentiment de vivre avec une “épée de Damoclès” au-dessus de leur tête », indique Hélène Laigo.

Le processus d’adaptation à la maladie chronique

Il est nécessaire de s’adapter à la réalité de la maladie en réalisant un processus de deuil. « Ce processus démarre immédiatement après l’annonce du diagnostic de la maladie et se déroule en plusieurs phases qui vont du choc affectif, à la prise de conscience de la perte et des réactions émotionnelles associées, puis à l’acceptation progressive de la maladie et à la réduction de la douleur », précise Hélène Laigo.

Les différentes phases

L’annonce du diagnostic produit inévitablement des répercussions psychologiques. Ce peut-être un choc. Mais ce peut être aussi un soulagement ; une fois le diagnostic posé et la maladie nommée, la personne n’est plus dans l’incertitude de savoir ce qu’elle a et quelle est l’origine des symptômes qu’elle ressent. Elle peut mettre un sens à ceux-ci : les comprendre, les expliquer, et trouver un moyen d’y pallier ou d’en être soulagée2. « Il n’y a pas de réaction normale ou anormale », souligne Hélène Laigo.

Le travail d’adaptation qui commence ensuite comprend plusieurs phases :

Le déni ou l’incrédulité
La personne est saisie par la stupéfaction et l’incrédulité. Elle peut exprimer un refus de croire à la réalité de la maladie, voire manifester un déni plus ou moins transitoire. Il s’agit-là d’un mécanisme de défense psychologique qui permet d’éviter l’effondrement de la personne face à la menace que constituent la maladie et les changements qu’elle entraîne2.

La désorganisation
La prise de conscience progressive de la présence de la maladie et de ses conséquences, en particulier des pertes qu’elle entraîne par rapport à la vie d’avant, conduit à devoir affronter une nouvelle réalité sans les repères habituels de la personne. Cette phase de désorganisation se traduit essentiellement par des émotions qui peuvent être de tout ordre : confusion, désorientation, ambivalence, incompréhension, sentiment de perdre le contrôle, colère, sentiment d’injustice, de culpabilité, de honte, de tristesse, de désintérêt, etc.2 « C’est souvent lors de cette phase caractérisée par un vécu dépressif que les malades sont en recherche d’une cause à leur maladie, afin d’y trouver une explication », précise Hélène Laigo.

Ces émotions sont normales. La personne passe plus ou moins rapidement de l’une à l’autre, avec une intensité qui est variable. « À cette étape, il n’est pas toujours simple de faire le diagnostic différentiel avec une authentique dépression. Seule la rencontre avec un psy (psychologue ou psychiatre) permet cette évaluation », indique Hélène Laigo.

La reconnaissance et le ressenti de ces émotions participent du travail d’adaptation. Elles peuvent être exprimées ou non, en fonction de la façon dont elles sont perçues et vécues2. « Il est important de respecter le rythme de la personne, explique Hélène Laigo. Toutes les émotions ont une fonction adaptative. Par exemple, la tristesse engendre un replis sur soi qui incite, d’un point de vue comportemental, à douter et à se remettre en question. Mais elle permet aussi de réfléchir et d’intégrer la situation, plutôt que d’agir dans un passage à l’acte impulsif. Cette émotion peut également pousser l’autre à vouloir apporter son soutien ».

La réorganisation
Cette phase consiste à s’adapter graduellement à sa nouvelle vie avec la maladie. Elle comprend une démarche d’inventaire de ce qui a été perdu, mais aussi de ce qui a été acquis (de nouvelles compétences et connaissances, de nouvelles relations par exemple). Ce bilan permet de tirer d’une certaine manière un trait sur ce qui n’est plus, mais aussi de fixer de nouveaux objectifs, de nouveaux centres d’intérêt. C’est souvent une étape où les valeurs et les priorités de la vie sont redéfinies2. Beaucoup de malades disent ainsi qu’ils ne portent plus le même regard sur la vie. « De nombreux patients disent ainsi avoir adopté une meilleure hygiène de vie “grâce” à la maladie », explique ainsi Hélène Laigo.

La phase de réorganisation comprend également une recherche de sens, c’est-à-dire le fait de répondre aux questions de la signification de la maladie pour la personne : comment la maladie s’inscrit-elle dans son histoire de vie ? Qu’est-ce qu’elle lui a permis d’apprendre, de mieux comprendre et de changer ? Comment elle a fait évoluer sa vision des choses ? Quelles connaissances sur elle-même la maladie lui a permis d’acquérir ? Parvenir à donner un sens à la maladie permet de retrouver de l’énergie et de la créativité, de s’ouvrir à nouveau au monde.

La réappropriation
Il s’agit de parvenir à se réapproprier sa vie, en renouant avec la continuité de son existence et en réapprenant à aimer la vie. Cela passe par le fait de se pardonner à soi-même d’être malade et de cesser de se considérer comme un fardeau pour soi et pour les autres, tout en pardonnant aux autres de ne pas être malades et de continuer leur vie2.
La réappropriation nécessite également de lâcher prise, c’est-à-dire d’accepter la réalité telle qu’elle est désormais, en se sentant prêt à renoncer à l’ancienne image de soi. Enfin, elle suppose également de parvenir à se projeter à nouveau dans l’avenir.

Un processus non linéaire

« Le vécu de ces différentes phases est très personnel, il peut être très différent d’une personne à une autre, indique Hélène Laigo. De plus, ce n’est pas un processus linéaire. Il peut y avoir des allers-retours entre les différentes phases. Ainsi, il ne faut pas considérer que le travail d’adaptation se déroule de manière figée, de se dire par exemple « j’en suis à telle étape, il ne me reste plus que telle et telle étape, et ce sera bon ». Cela ne se passe pas exactement comme cela. »

En effet, l’imprévisibilité de l’évolution de la SEP rend les choses un peu plus compliquées. Il peut être difficile de s’adapter à sa nouvelle situation quand on a peu ou pas de certitude sur la survenue et l’évolution des symptômes et des séquelles. Par ailleurs, « lorsqu’un nouveau symptôme apparaît ou qu’il empêche de réaliser des choses auxquelles la personne tient, le processus se répète, explique Hélène Laigo. Si ce processus est reporté, nié ou est incomplet, la personne ne peut dès lors s’affranchir de la perte et du manque. » Le mode d’évolution de la SEP entre bien entendu en ligne de compte : « selon qu’il s’agit d’une forme rémittente ou progressive, passive ou agressive, les aires de récupération psychiques seront différentes », ajoute Hélène Laigo.

Le travail d’adaptation dépend aussi de l’importance ressentie par la personne des pertes qu’elle subit. Une altération des mouvements des mains n’aura ainsi pas tout à fait la même « valeur » pour un musicien que pour une personne qui ne joue pas d’un instrument2.

Enfin, la sclérose en plaques se caractérise par un large éventail de symptômes et de handicaps possibles. Lorsque ceux-ci s’accumulent, parfois de manière rapide, il peut se produire une « surcharge » dans le travail d’adaptation. La capacité de la personne à effectuer ce travail s’en trouve altéré, mais ne le rend pas impossible pour autant.

Le travail de deuil

Le processus d’adaptation et d’acceptation s’apparente à un travail de deuil2.
Souvent, ce dernier est associé au décès d’un proche. « En fait, chacun expérimente un travail de deuil tout au long de sa vie, explique Hélène Laigo. L’enfant qui devient autonome doit faire le deuil d’une relation avec ses parents qui s’occupaient jusqu’alors de tout pour lui. Mais cette perte lui permet de gagner d’autres choses, de grandir, d’évoluer. À chaque fois qu’une personne éprouve une perte dans sa vie, elle doit s’adapter. C’est ce que je dis toujours à mes patients : vous avez déjà éprouvé des situations de pertes et de frustrations, et vous avez trouvé en vous les ressources nécessaires pour vous adapter et pour aller de l’avant. Avec la maladie, c’est pareil. »

Les facteurs qui influencent le processus d’adaptation

Certains facteurs propres à la personne malade ou à son environnement peuvent influencer, positivement ou négativement, le travail d’adaptation et d’acceptation.

La personnalité

Chacun possède une personnalité qui se construit tout au long de l’existence, depuis la petite enfance. Cette personnalité continue de se forger dans l’histoire de vie présente et à venir, avec ou malgré la maladie. Il a été observé que des traits de personnalité peuvent avoir une influence sur le processus d’acceptation et d’adaptation.
Les personnes ayant une personnalité consciencieuse, c’est-à-dire qui sont plutôt auto-disciplinées, organisées et qui cherchent à bien accomplir ce qu’elles ont à faire, parviendraient plus facilement à s’adapter à la survenue d’une maladie chronique comme la SEP. C’est le cas également des personnes optimistes et de celles qui se focalisent avant tout sur le moment présent3.
À l’inverse, les personnes de nature pessimiste ou enclines au névrosisme (trait de caractère avec une tendance persistante à faire l’expérience d’émotions négatives) rencontreraient davantage de difficultés à effectuer le travail d’adaptation. De même, pour les personnes ayant tendance à ruminer. La rumination favoriserait les pensées négatives, la dépression et de moindres contacts avec les autres3.

L’expression des émotions

Les émotions peuvent être inhibées et refusées ou, au contraire, reconnues et exprimées. D’une manière générale, il apparaît que la capacité à exprimer ses émotions favorise le processus d’adaptation à la maladie, y compris lorsqu’il s’agit d’émotions négatives. L’idée n’est pas de se laisser déborder par ses émotions, mais d’en prendre conscience, de les reconnaître et de parvenir à les exprimer d’une manière ou d’une autre1.

La qualité de l’environnement familial, social et médical

Le rôle des proches est crucial pour permettre à une personne de cheminer dans le processus d’adaptation et d’acceptation d’une maladie chronique. Un entourage compréhensif, aimant et aidant contribue à favoriser ce processus3. « Tout dépend aussi du fonctionnement de la famille avant l’annonce de la maladie, précise Hélène Laigo. Quelles modalités de résolutions de crise les membres de la famille avaient avant et sur lesquelles ils sont en mesure de s’appuyer maintenant que la maladie est là. » Le soutien de l’entourage ne doit toutefois pas être trop appuyé ni surprotecteur. Dans ce cas en effet, il peut souligner de manière trop marquée auprès de la personne malade qu’elle est dépendante de ses proches3.

Dans l’idéal, le soutien des proches ne doit pas être perçu comme tel par la personne malade, il doit se faire naturellement, comme une évidence.
« Il est également essentiel d’initier et de maintenir les relations sociales et amicales, indique Hélène Laigo. En cas de difficultés, les associations peuvent constituer un étayage très utile sur ce plan. De plus, la relation de confiance avec les professionnels de santé qui interviennent dans la prise en charge du patient joue également un rôle important. En effet, ces professionnels représentent pour lui un point d’ancrage et un repère dans le temps, sur le plan matériel et émotionnel. »

Se faire aider pour mieux s’adapter

Il est parfois nécessaire de se faire aider pour parvenir à effectuer le travail d’acceptation et d’adaptation de sa maladie chronique. « La majorité des personnes possèdent des capacités importantes de résilience et d’adaptation. Il ne faut donc pas psychologiser, voire psychiatriser les maladies chroniques, explique Hélène Laigo. Mais il peut arriver que des patients restent en quelque sorte figés à une phase du travail et qu’ils se retrouvent dans une forme d’impasse. »

Quand le processus s’enraye

Parfois, le travail d’adaptation à la maladie se complique. Il peut ainsi être absent ou retardé, se traduisant alors par une forme d’indifférence face à la situation. Dans d’autres cas, les émotions sont particulièrement intenses et envahissantes. Elles peuvent empêcher la personne d’avancer.
Lorsque le travail d’adaptation reste inachevé, il peut conduire à de la résignation. Celle-ci se traduit par de la rumination, de l’amertume, de l’apitoiement, voire du désespoir. La maladie est alors subit de manière inexorable, comme une fatalité, entraînant alors isolement social et dépendance2.

Une aide qui peut être ponctuelle

Une aide et un accompagnement psychologique peuvent permettre de sortir d’une situation figée dans le processus d’acceptation et d’adapatation de la maladie. « Les approches peuvent être diverses, explique Hélène Laigo. Pour certains patients, il peut être plus adapté de procéder par un travail sur le corps (relaxation, sophrologie, yoga, méditation de pleine conscience, art-thérapie, etc.). D’autres auront plutôt besoin de s’exprimer par la parole, dans le cadre d’une psychothérapie. Il convient alors de déterminer avec eux quel type de thérapie leur convient, en fonction des difficultés qu’ils rencontrent. »
L’accompagnement psychologique, réalisé par un psychiatre ou un psychologue, peut également permettre de résoudre des difficultés antérieures à la maladie, difficultés qui compliquent davantage le travail de deuil2.

« Ce n’est pas parce qu’une personne a besoin d’une aide à un moment donné que cette aide va devenir permanente, précise Hélène Laigo. Cette aide psychologique peut être très ponctuelle. »

En conclusion

Le travail d’adaptation à la maladie est un processus normal, par moments difficile à vivre, mais qui permet au final de se retrouver, avec de nouveaux repères, de nouvelles valeurs et de nouveaux objectifs. Il permet de se réorganiser pour se recréer une nouvelle existence ayant tout son sens, certes avec la maladie mais pas uniquement avec elle ; tout malade ne se réduit en effet pas à sa maladie2.

Sources

(1) de Ridder D, Geenen R, Kuijer R, van Middendorp H. Psychological adjustment to chronic disease. Lancet. 2008 Jul 19;372(9634):246-55. doi: 10.1016/S0140-6736(08)61078-8.
(2) Couture, C. Adaptation et résilience : favoriser la recherche de sens chez les personnes atteintes de sclérose en plaques. Frontières, 2009; 22 (1-2): 27–34. doi: 10.7202/045024ar.
(3) Helgeson VS, Zajdel M. Adjusting to Chronic Health Conditions. Annu Rev Psychol. 2017 Jan 3;68:545-571. doi: 10.1146/annurev-psych-010416-044014.

Publié le : 18/07/2019

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