Microbiote et SEP : ce que l’on sait (et ce que l’on ne sait pas) aujourd’hui

Le microbiote intestinal, autrement dit la flore intestinale, fait l’objet d’un intérêt croissant des chercheurs et des médecins depuis une dizaine d’années. Les recherches actuelles tendent à faire penser qu’il joue un rôle très important au sein du corps humain et qu’il régule de nombreux processus physiologiques. Il pourrait également être impliqué dans la survenue et l’évolution de différentes maladies, dont la sclérose en plaques. Mais le microbiote est encore loin d’avoir dévoilé tous ses secrets. Le point sur les connaissances actuelles avec le Dr Maxime Pichon, chef de clinique au laboratoire de bactériologie-hygiène du CHU de Poitiers, et le Dr Nicolas Maubeuge, chef de clinique en neurologie, également au CHU de Poitiers.

Qu’est-ce que le microbiote ?

Le microbiote représente l’ensemble des micro-organismes présents dans ou sur l’organisme et avec lequel nous vivons en symbiose. Il est composé principalement de bactéries, mais aussi de virus, de parasites et de champignons. Il existe différents microbiotes, au niveau de la peau, de la bouche, du vagin pour les femmes. Historiquement, le plus étudié est le microbiote intestinal(1).

Le microbiote intestinal

Le microbiote gastro-intestinal est présent tout au long du tube digestif, mais il est principalement localisé dans l’intestin grêle et le côlon(2).

Des études ont montré que plusieurs milliers d’espèces différentes sont retrouvées dans le microbiote de la population humaine. Ce dernier comprend un total d’environ cent mille milliards de micro-organismes. Cela représente environ dix fois l’ensemble des cellules humaines qui constituent le corps humain !(3, 4)

Le microbiote intestinal pèse environ deux kilogrammes, soit quasiment autant que notre cerveau(5).

Comme les empreintes digitales, le microbiote intestinal est propre à chaque personne ; il est unique sur le plan qualitatif et quantitatif. Parmi les espèces de micro-organismes qui le composent, seules 10 % à 20 % des espèces sont retrouvées d’un individu à un autre(2).

La formation du microbiote intestinal

Le microbiote intestinal se constitue dès la naissance, par contact soit avec la flore vaginale en cas de naissance par voie basse, soit avec les micro-organismes de l’environnement ou de la peau en cas de naissance par césarienne(2).

La composition du microbiote évolue ensuite progressivement au cours des premières semaines de vie, en fonction de l’alimentation, mais aussi de l’environnement, de l’hygiène, des traitements médicaux éventuels. Il se stabilise pour sa majeure partie aux alentours de la deuxième année de vie(2).

Une fois constitué, le microbiote intestinal reste plutôt stable au cours de la vie. Sa composition peut être toutefois influencée par l’alimentation, les traitements antibiotiques ou autres, ou encore la prise de toxiques comme l’alcool ou le tabac(6).

Les rôles du microbiote intestinal

Le microbiote intestinal joue un rôle essentiel à plusieurs niveaux :
- La digestion. Le microbiote participe à la conversion des aliments en nutriments et il permet l’assimilation de certaines vitamines qui serait en son absence impossible.
- La maturation du système immunitaire. Il permet au système immunitaire de l’intestin d’apprendre quels sont les micro-organismes bénéfiques et ceux qui sont pathogènes.
- La protection contre les pathogènes. Le microbiote intestinal est indispensable pour que la paroi intestinale joue pleinement son rôle de barrière contre les pathogènes venant de l’alimentation et de l’environnement(2).

Les relations entre microbiote intestinal et le cerveau

Il existe ce que l’on appelle « l’axe microbiote-intestin-cerveau », qui s’influencent les uns et les autres, avec des échanges bidirectionnels(4).

Ainsi, des travaux de recherche tendent à montrer que les processus du développement neurologique chez l’enfant dépendent en partie de la diversité de la composition du microbiote(6).

Il est bien connu que le cerveau influence les activités motrices, sensitives et sécrétrices du tube digestif. Mais en sens inverse, l’intestin et son microbiote agissent sur le cerveau et interagissent avec les comportements (alimentaires notamment), les fonctions cognitives (l’attention par exemple) et l’humeur (le stress en particulier)(4).

Les voies de communication de « l’axe microbiote-intestin-cerveau » sont très nombreuses et tout aussi complexes. Les chercheurs sont loin de toutes les avoir identifiées et comprises(4).

Le microbiote est-il impliqué dans la survenue de la SEP ?

La sclérose en plaques est une maladie elle aussi complexe dont la cause est encore inconnue. Il est probable que des facteurs génétiques soient impliqués dans sa survenue, mais ils ne peuvent expliquer à eux seuls celle-ci. Cela conduit à penser que des facteurs environnementaux jouent également un rôle(7).

L’influence du microbiote sur de nombreux aspects physiologiques et psychologiques humains a conduit à penser qu’il pouvait être impliqué dans la genèse d’un certain nombre de maladies, en particulier neurologiques.

Ces dernières années, des recherches tendent ainsi à montrer que des dérégulations de « l’axe microbiote-intestin-cerveau » participent aux mécanismes d’apparition de pathologies telles que la maladie d’Alzheimer, l’autisme, la maladie de Parkinson, les lésions cérébrales, les accidents vasculaires cérébraux et… la sclérose en plaques(6).

Différents arguments plaident en faveur d’un rôle du microbiote dans la sclérose en plaques.

Les études chez l’animal

Il existe un modèle animal de la sclérose en plaques : l’encéphalite auto-immune allergique chez la souris. Ce modèle n’est pas parfait, mais il reproduit en partie la maladie, à la fois dans les mécanismes de sa survenue et dans son évolution(6).

Des études sur le microbiote ont été réalisées avec ce modèle animal. Elles montrent notamment que les souris privées de microbiote développent plus difficilement une encéphalite auto-immune allergique et que l’évolution de celle-ci est moins sévère(3, 6). Ces études montrent également que le microbiote favorise la différenciation de certains lymphocytes (un type de globules blancs) en cellules pro-inflammatoires qui contribuent à la survenue de la maladie(3).

Enfin, ces études indiquent que lorsque l’on transplante à des souris sans microbiote celui de souris malades, les premières développent une encéphalite auto-immune allergique avec une fréquence et une évolution similaire à celles des secondes(6).

Les études chez les malades

Le microbiote intestinal a également été étudié chez des personnes atteintes d’une sclérose en plaques, enfants et adultes.

Ces études tendent à montrer que le microbiote des patients SEP présente des différences avec celui des personnes non malades : chez les premiers, en comparaison avec les seconds, certaines bactéries seraient plus fréquentes, alors que d’autres le seraient moins(1, 3, 6).

Les personnes atteintes de SEP présenteraient ainsi une « dysbiose », c’est-à-dire des déséquilibres au niveau de leur microbiote(1). Ces déséquilibres pourraient être susceptibles, comme cela a été observé chez la souris, d’entraîner ou de favoriser un état inflammatoire propice à la survenue de poussées de la maladie(3).

Les limites des études actuelles

« Le microbiote intestinal est un système très complexe à étudier et à comprendre. Les études réalisées jusqu’à présent ne permettent pas d’identifier « un profil » spécifique du microbiote des personnes atteintes de sclérose en plaques, et encore moins de savoir précisément quelles bactéries pourraient être impliquées dans la survenue de la maladie », explique le Dr Nicolas Maubeuge.

Les différentes études actuelles ont en effet le plus souvent porté sur un petit nombre de patients. De plus, elles ont analysé le microbiote de ceux-ci à un instant donné. On ne dispose pas de données sur l’évolution du microbiote de malades. Il n’est pas ainsi possible de savoir si certains changements du microbiote observés chez les malades ne sont pas provoqués par la SEP(1).

« Les recherches sur le microbiote et la sclérose en plaques sont encore très préliminaires, précise ainsi le Dr Maxime Pichon. Globalement, on sait juste que le microbiote des malades est différent. Pour le moment, on n’en sait pas beaucoup plus. »

Le microbiote influence-t-il l’évolution de la SEP ?

Tout comme pour la survenue de la maladie, l’hypothèse d’une influence du microbiote sur l’évolution de la sclérose en plaques fait l’objet de nombreuses recherches. Mais pour le moment, les résultats de celles-ci sont trop préliminaires pour que cette hypothèse puisse être confirmée ou infirmée.

« Une partie de ces recherches concerne les traitements de la SEP, en particulier les médicaments oraux, explique le Dr Nicolas Maubeuge. Il s’agit de déterminer si l’efficacité des traitements est modulée par le microbiote. C’est tout à fait possible, mais nous ne disposons d’aucun résultat pour le moment permettant de l’affirmer ».

Peut-on changer son microbiote ?

Compte tenu de l’implication possible du microbiote intestinal dans la survenue et l’évolution de la sclérose en plaques, une des grandes questions est de savoir s’il est possible de modifier son microbiote pour, éventuellement, en tirer un bénéfice.

Plusieurs approches sont envisageables :

Les probiotiques

Les probiotiques sont des organismes vivants qui, une fois administrés, peuvent avoir des effets bénéfiques sur la santé et qui peuvent être utilisés comme traitement contre les maladies intestinales(3).

Les études menées chez la souris sont contradictoires. Dans certains cas, l’administration de probiotiques n’a eu aucun effet, dans d’autres cas, elle s’est accompagnée d’une amélioration de la pathologie(3).

Jusqu’à présent, une seule étude a évalué un probiotique contenant plusieurs bactéries chez des patients atteints de SEP. Les chercheurs ont observé une petite amélioration sur certains paramètres, en particulier sur l’EDSS (l’échelle de mesure des handicaps associés à la maladie). Mais cette amélioration n’était pas perçue par les patients. De plus, cette étude souffre de problèmes méthodologiques. Ses résultats doivent donc être interprétés avec une très grande précaution(3).

L’alimentation

Il est connu que l’alimentation dite occidentale, qui est riche en sel, en graisses saturées, en protéine et en sucre, est associée à une augmentation de la fréquence des maladies auto-immunes. À l’inverse, les régimes alimentaires de type « méditerranéen », à faibles apports caloriques, riches en fruits, légumes et poissons entraînent une moindre inflammation et peuvent avoir un effet favorable sur le microbiote(3).

Existe-t-il pour autant des recommandations alimentaires préconisées pour les malades atteints de SEP ? Une petite étude tend à montrer qu’une alimentation peu calorique et faible en apports protéiques se traduit par une amélioration de la qualité de vie et une légère diminution de l’échelle EDSS. Mais cette étude est trop préliminaire pour apporter des conclusions réellement utiles(3).

« L’important pour les patients SEP, comme pour tout le monde, est d’avoir une alimentation équilibrée et variée, indique le Dr Nicolas Maubeuge. Pour le moment, on ne peut pas préconiser autre chose ».

La transplantation de microbiote fécal

Une transplantation de microbiote fécal consiste à administrer via des matières fécales issues d’une personne non malade (dont on imagine qu’elle possède un microbiote équilibré) un nouveau microbiote à un patient. L’idée est que ce dernier retrouve un microbiote équilibré.

Quelques transplantations de ce type ont été réalisées dans le monde chez des malades atteints de sclérose en plaques. Les effets rapportés sont en faveur d’une amélioration de certains symptômes, notamment de la marche. Cependant, il s’agit de cas isolés. Aucune étude sérieuse n’a jusqu’à présent été entreprise sur cette approche. Elle ne peut donc être envisagée à l’heure actuelle(5).

« Il faut également avoir à l’esprit que la transplantation fécale n’est malheureusement pas sans risque, prévient le Dr Maxime Pichon. Des cas de chocs septiques, voire de décès de cause infectieuse ont été observés. Donc, il convient d’être très prudent ».

En conclusion

Les connaissances actuelles sur le microbiote et la sclérose en plaques sont plutôt limitées et elles ne permettent pas d’en tirer des conseils pratiques et des approches thérapeutiques consensuelles(5). « C’est cependant à l’évidence une voie d’avenir, conclu le Dr Maxime Pichon. Mais il reste encore un travail considérable à réaliser avant de comprendre toutes les implications du microbiote sur la SEP ».

Sources bibliographiques

1. Freedman SN, Shahi SK, Mangalam AK. The “Gut Feeling”: Breaking Down the Role of Gut Microbiome in Multiple Sclerosis. Neurotherapeutics 2018; 15, 109-125.
2. Inserm. Microbiote intestinal (flore intestinale). Une piste sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies. https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/microbiote-intestinal-flore-intestinale.
3. Mowry EM, Glenn JD. The Dynamics of the Gut Microbiome in Multiple Sclerosis in Relation to Disease. Neurol Clin 2018; 36, 185-196.
4. Cryan JF, O ›Riordan KJ, Cowan CSM et al. The Microbiota-Gut-Brain Axis. Physiological Reviews 2019; 99, 1877-2013.
5. Chu F, Shi M, Lang Y et al. Gut Microbiota in Multiple Sclerosis and Experimental Autoimmune Encephalomyelitis: Current Applications and Future Perspectives. Mediators of Inflammation 2018; 2018, 1-17.
6. Cryan JF, O ›Riordan KJ, Sandhu K et al. The gut microbiome in neurological disorders. The Lancet Neurology 2020; 19, 179-194.
7. Ochoa-Repáraz J, Kirby TO, Kasper LH. The Gut Microbiome and Multiple Sclerosis. Cold Spring Harbor Perspectives in Medicine 2018; 8, a029017.

Publié le : 06/03/2020

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